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UN PARCOURS

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Une histoire pas si française...

Prenons un gamin des années 1960 en banlieue, celle qui ressemble encore aux photos de Doisneau quand on ne parle pas encore de quartier. A Thiais, Le gamin va au conservatoire faire du solfège et du chant chorale. C’est une famille industrieuse, sans problème, pas particulièrement versée dans la culture, mais où la musique est importante. C’est la mémé qui joue du banjo au repas de famille ; on en reparlera… Le môme a cinq ans. Par hasard, il aperçoit le cours de danse classique. Fascination. La famille n’y voit rien à redire. Comme elle n’est pas versée dans la culture, elle n’est pas embarrassée de préjugés. Le gamin prend des cours de danse. En 1972, quand l’arrivée de la petite sœur oblige la famille à déménager jusqu’à Dammartin-en-Goële, en Seine-et-Marne, au-delà de l’aéroport de Roissy. Une histoire très française. Le gamin s’appelle Lionel Hoche.

A Dammartin il reprend les cours. « Elle s’appelait Janie Cap. C’était une vieille fille un peu dure, toujours tiré à quatre épingles comme si elle allait entrer en scène. Elle avait été danseuse étoile du Théâtre du Châtelet et elle avait aussi un petit studio de danse, sous les toits, rue de la Fidélité, tout près de la gare de l’Est. Il y avait sa mère qui cousait les costumes dans un coin » raconte Lionel et l’on retrouve ces atmosphères des cours d’antan avec ces professeurs qui n’avait pas beaucoup de science pédagogique, mais beaucoup d’expérience.

On trouve le gamin bien doué, on se dit qu’il serait bien de le présenter au concours. Il n’y a qu’un concours quand un gamin de banlieue fait de la danse au début des années 1970 : mais pour trouver les professeurs capables de préparer les épreuves pour entrer à l’opéra, les références manquent. La famille se renseigne et c’est ainsi que Lionel, avec le soutien de Max Bozzoni et de Daniel Franck entre à l’opéra de Paris en 1978.

Opéra, l’institution par l’excellence

Ce pourrait être l’histoire idéale, un genre de Billy Elliot à la française, avec tous les clichés. Avec cette nuance que le parcours de Lionel Hoche ne s’y prête absolument pas : « Je n’ai jamais eu aucun problème avec ma famille. J’étais très soutenu et je me suis toujours senti légitime. Par exemple, ce sont mes parents qui, voyant le temps que je passais dans les trains pour aller prendre des cours à Paris, décident de me prendre une chambre de bonne à Paris. J’étais très entouré ». Pas de drame social, mais, en revanche, la raideur toute française de l’institution encore confite entre usages et traditions. Singulièrement pour les élèves qui le fréquentent toujours le Palais Garnier n’a pas fait sa mue. Comme le rappelle Jean Guizerix, racontant l’après-Mai 68 et le retour à la normal à l’Opéra :« Malheureusement, tout s’est très vite refermé à l'Opéra. Les postures réactionnaires se sont réactivées provoquant par exemple le départ de Michel Descombey, alors directeur de la danse, qui m’avait engagé. Les danseurs étoiles en place ont demandé à ne plus travailler avec lui quand Mai 68 a cessé de vivre l’utopie. C'était une personne ouverte à l'esprit de cette période, mais cela ne correspondait pas aux désirs de certains. »

Quand il évoque ses années d’opéra, Lionel Hoche raconte volontiers les itinéraires stricts pour aller d’une salle de cours à un studio, les révérences dues même en croisant des aînés aux Galeries Lafayette, le système d’encadrement « où nous étions tellement occupés à faire ce que l’on doit que nous n’avions pas le temps de nous demander s’il se passait quelque chose ailleurs ». Et celui qui se fait très vite remarquer par les petites folies chorégraphiques qu’il concocte à l’occasion des diverses fêtes de l’école de danse souligne qu’à l’époque, plus qu’un enseignement, « on impose un système de pensée. J’avais pensé la danse comme l’exercice de la liberté et là je ressens surtout son absence dans tout ce que l’on me fait faire. J’avais un doute ; il me manquait un truc. Ce n’étais pas du tout un endroit d’épanouissement.»

Le danseur maîtrise cependant son sujet, le voilà en 1ère division ; il va y rester trois ans. « J’étais dans une drôle de situation avec Claude Bessy. J’étais un bon élève, j’avais de bons résultats, mais elle ne m’aimait pas comme nous disions alors. J’étais extravagant, pas vraiment discret, très vivant et Claude Bessy avait un problème avec ma personnalité. Je ne sais pas trop ce qu’il faut en penser, mais je suis resté trois ans en 1ère division, jusqu’à la limite d’âge et là, on vous met à la porte. L’usage voulait alors que dans ces cas-là, les danseurs allaient chez Béjart ou au Ballet de Marseille ».

Chance rétrospective. Ces trois années -de 1980 à 1983- sont celles où René Bon dirige la première division garçon. Ce danseur, fantasque et truculent, feu-follet qui malgré son âge saute encore et s’arrête en pleine démonstration pour enchaîner les double-tours en l’air, apporte à Lionel Hoche une énergie de travail positive. Il profite également de l’enseignement de Serge Perrault lequel donne alors des cours de danse à titre de «professeur de perfectionnement» à l’école de l’opéra où le jeune danseur découvre alors enfin quelque chose de l’ordre du ressenti et de l’organicité du mouvement, une approche plus sensuelle qu’athlétique de la danse qui le conforte dans sa quête d’une danse vivante et généreuse.
Autre chance, l’école profite, à l’époque, de la possibilité de participer à un stage qui se déroule à Cologne. Il y a là des professeurs et des danseurs venant d’ailleurs et, en particulier, de la Haye où officie un chorégraphe tchèque que l’on ne connaît très mal en France à l’époque, un certain Jiri Kylian.

A l’automne 1983, Lionel Hoche a quitté la France. Ce parcours si typiquement français cesse de l’être. Lionel Hoche va devenir l’un des danseurs du Nederland Dans Theater, le mythique NDT. 

 

L’expérience hollandaise

Le Nederland Dans Theater, basée à La Haye, après quelques années complexes, connaît depuis 1975 un développement sans ombre sous la direction artistique de Jiri Kylian qui ne se prive pas d’inviter d’autres artistes qui viennent créer avec la compagnie. Depuis 1977, les jeunes danseurs qui arrivent sont d’abord accueillis dans un groupe d’apprentissage. Quand Lionel Hoche y entre, celui-ci s’appelle Junioren/ Juniors. Il ne s’appellera NDT 2 qu’à partir de 1987. Il a son propre directeur artistique, Arlette van Boven. C’est elle qui a repéré Lionel Hoche. « J’ai passé deux ans avec les Juniors puis j’ai intégré la compagnie. C’était le sas, tout le monde suivait ce parcours. Les juniors avaient un rythme un peu plus sage que Le NDT qui avait, lui, une activité très importante. Nous faisions cinq programmes par an, je dansais à peu près toutes les pièces. Cela signifie que durant mon passage au NDT, j’ai certainement dansé plus de cinquante pièces » se souvient Lionel. Parmi les noms des chorégraphes : William Forsythe, Ohad Naharin, Nacho Duato, Jose Limon, Jerome Robbins, Uwe Scholtz, Lar Lubovitch, ou Daniel Larrieu… Sans oublier le « patron », Jiri Kylian qui vient de créer Stamping Ground (1983). « j’ai eu la chance de faire une reprise de cette pièce. C’est un réel chef d’œuvre, c’est aussi un tournant dans l’œuvre de Jiri. » La période est celle de grandes pièces comme l’Histoire du Soldat (1986) ou Kaguyahime (1988). C’est une pièce très aboutie, étendue sur une soirée complète, ce qui n’est pas forcément le point fort de Jiri, mais là, totalement maîtrisée d’un bout à l’autre. C’est la dernière grande pièce que j’ai faite au NDT. » Le rythme de travail très intense laisse un certain sentiment d’inachèvement. En 1988, Daniel Larrieu monte Les Anges protecteurs (Beschermengelen) pour la compagnie. La pièce, importante puisque pour seize danseurs, laisse pourtant à chacun la possibilité de réfléchir. Un peu las des grandes machines, Lionel Hoche laisse un contrat qui l’attend à Francfort auprès de Forsythe et revient en France : « je voulais sortir de l’usine, même si elle est très formatrice, pour aller vers quelque chose de singulier » explique Lionel Hoche. En quittant le NDT, il a cependant acquis un peu plus qu’un impeccable métier de danseur : il sait qu’il trouve plus de satisfaction encore dans la création que dans l’interprétation. Il sait qu’il est chorégraphe.

Au sein du NDT, et la tradition s’ancre puissamment dans le fonctionnement de la compagnie, les danseurs sont incités à créer. Si l’on excepte les petites expériences diverses et préalables, la première pièce de Lionel Hoche, U should have left the light on (1988), d’après le titre de la chanson de Sinéad O'Connor qui fut la bande son initiale de l’œuvre, va connaître un sort étonnant tant il est rare qu’une première œuvre soit reprise, a fortiori dans plusieurs compagnies ! « Ce n’était pas du tout de la “belle danse“ à la Kylian. Pas une provocation, mais pas non plus une pièce de “fils de”, C’était un de ces couples qui s’aiment et se déchire comme on en faisait beaucoup à l’époque», explique Lionel Hoche. La pièce est composée pour le work-shop annuel des danseurs. Arlette van Boven, la directrice du NDT 2 la voit et la prend au répertoire de la compagnie. Puis la pièce est reprise au répertoire de la compagnie Nomades/Le Loft Vevey, du Ballet de l'Opéra de Rome et de la Compania da Danca de Lisbonne en 1989. Plus tard, la pièce sera inscrite au répertoire de la compagnie du chorégraphe, avec une nouvelle musique signée Palix et Couturier.

Un premier essai chorégraphique repris par quatre compagnies dont trois étrangères : pour un coup d’essai, cela s’appelle un coup de maître et cela lance incontestablement une carrière de chorégraphe.

 

Une carrière voyageuse

Décidé pour échapper à la pesanteur un peu routinière d’une compagnie qui tourne et danse beaucoup, le départ du NDT plonge maintenant le jeune chorégraphe dans une activité qui ne laisse pas trop le temps à l’angoisse du calendrier vide. Il a rejoint Astrakan, la compagnie de Daniel Larrieu. « En rentrant à Paris, Daniel m’accueille les bras ouverts et quand j’ai pris la décision de partir, c’est la première personne que j’ai appelée ». Il danse à la création des Bâtisseurs (1989) et des Prophètes (1990), ainsi que Coda (1992) aux Hivernales d’Avignon. Il assiste également le chorégraphe dans la création d’Attentat Poétique (1992), création pour l'Opéra de Paris. Dans le sillage de cette collaboration et en écho à ce mode de fonctionnement si caractéristique de la danse française de ces années, il crée sa compagnie en 1992. Il la baptise compagnie MéMé BaNjO – la fameuse grand-mère des repas de famille… Cette introduction dans le milieu de la Jeune Danse Française, sous la protection d’une figure tutélaire incontestée, aurait pu lancer une carrière de « jeune chorégraphe ». Mais Lionel va choisir une autre voie. Ou plutôt être choisi. Dès 1990, il propose Coming Up Rose, en réponse à une commande du NDT et, dès 1991, soit trois ans à peine après son saut dans l’inconnu, enchaîne cinq créations, dont l’une pour le Ballet de l’opéra de Rome et une autre pour le Ballet de Nancy… Cette année fut comme un déclic, le début d’un métier que pratique peu les français : chorégraphe indépendant et international. Les chiffres parlent d’eux-mêmes. Entre 1990 et 1999, Lionel Hoche va créer 29 pièces pour une vingtaine de compagnie et dans une quinzaine de pays. Ce type de carrière que ne pratiquent guère ses confrères hexagonaux plutôt centrés sur une reconnaissance nationale. Il est frappant de constater qu’alors que sa carrière auprès des compagnies étrangères connaît un développement fulgurant, il ne crée que trois pièces pour sa propre compagnie et même Volubilis (1997), pièce qui va être un véritable révélateur de son style, est d’abord créée pour le Nederlands Dans Theater avant d’être reprise pour la compagnie MéMé BaNjO puis d’entrer au répertoire du Ballet National de Nancy en novembre 2000 !

 

Retour chez soi en résidence           

Mais une rupture est en œuvre et se lit dans les chiffres : soudain, en 2001 et 2002, plus que trois créations, dont deux pour la compagnie. Un changement de cap radical, le franc-tireur semble rentrer dans le rang. «C’est vrai qu’au bout de dix ans de cette carrière de chorégraphe international, j’étais un peu lassé de passer six à huit mois par an en dehors de chez moi ! Cela me plaisait énormément, mais l’exercice a ses limites. Et puis, je commençais à vouloir développer ma compagnie et, même si on ne m’a jamais franchement reproché ce travail à l’extérieur, on me faisait cependant comprendre qu’il ne fallait pas trop se disperser, qu’il me fallait lever le pied sur cette activité… De plus, à l’époque, je commençais à avoir beaucoup d’activité avec les résidences. » Car depuis 1998, la compagnie bénéficie d’une résidence à l’Opéra-Théâtre de Saint-Etienne. « Je n’ai pas vraiment cherché cette implantation. Cela s’est fait un peu par hasard. J’étais programmé à Saint-Quentin en Yvelines et Pierre Moutarde [directeur du théâtre] me rappelle que Thierry Malandain quittait Saint-Etienne pour créer le CCN de Biarritz. Et il me suggère de poser ma candidature. Ce que j’ai fait sans vraiment m’être posé de question. J’ai eu un rendez-vous assez vite. Nous nous sommes installés en juillet 1998. » La résidence va durer presque cinq ans, avant une autre à La maison de la musique de Nanterre (2004-2008) puis à l’Opéra de Massy et sur le département de l’Essone (2010-2012), au Centre des Arts d’Enghien les Bains (2013-2015), etc… Une activité institutionnelle intense mais qui ne répondait en rien à un projet. Or, une résidence prend du temps, demande de la présence sur place et de la disponibilité, toute chose incompatible avec la carrière de chorégraphe-voyageur ! Ces résidences vont permettre au style de s’affirmer auprès du public. Ce retour à la compagnie cache aussi une nouvelle activité. En 2002, un rien dans l’urgence, la metteuse Sandrine Anglade demande à Lionel Hoche d’intervenir sur la création de l’opéra de Mozart Così fan tutte pour le Grand Théâtre de Tours. Depuis, à raison d’une tous les deux ans, le voilà qui s’investit dans le « au service de »… Et Laurent Pelly, entre autre, va lui permettre d’exercer sa fantaisie sur La petite renarde rusée (2008), Manon (2010) ou Robert le Diable (2012)….

Cela laisse plus de temps pour développer un style avec la compagnie. Et au fil des résidences, la « patte » de Lionel Hoche s’affine. Ainsi dans Enroussellements (1999) retrouve-t-on cette attention toute particulière portée à la scénographie, ici très graphique et jouant sur les transparences et les formes géométrique, mais aussi un sens du spectacle, un goût du mouvement porté par des interprètes très choisis…  Ce soin trouve une expression particulièrement claire en 2002 quand Lionel Hoche réalise « son » Sacre du Printemps. Cinq danseurs pour la version deux pianos, d’excellents interprètes pour une évocation d’une catastrophe invisible.

PAN ! (2008) marque une autre étape esthétique ; pièce de masques et de simulacres, rappel de l’univers Hopi, elle semble advenir juste après un étrange cataclysme et la gestuelle soignée se glisse entre les vestiges. Avec la résidence à Enghien, Lionel Hoche va développer un goût pour des scénographies vidéo très élaborées. Les décors deviennent comme partenaire à part entière de l’œuvre et ouvre à la fantasmagorie.

Mais ce glissement progressif vers la magie technologique s’accompagne d’un autre mouvement. En 2014, pour répondre à une demande de Jérôme Franc au Centre de Développement Chorégraphique de Dijon, il crée lundijeudi, sorte de one-man show existentiel et bricolé qu’il approfondira avec samedicarrément (2018) dans lequel il s’abandonne en sus à un plaisir profond autant que caché : il y chante. Manière de continuer à ne jamais être tout à fait là où on l’attendrait.

Philippe Verrièle

(1918 - 2003). Elève à l'école de danse de l'Opéra, il en intègre le corps de ballet de l'Opéra 1936 et est nommé étoile à l'Opéra par Serge Lifar en 1947. En 1963 à l'âge de 45 ans, il quitte l’Opéra et devient l’un de professeur les plus réputé tant à l'école de danse de l'Opéra de Paris que dans son studio privé.

L’école de danse de l’opéra de Paris n’a été transférée à Nanterre qu’en 1987 et l’opéra Bastille a été inauguré en 1989.

Coll. ; Danser en mai 1968, premier élément. Ed Micadanses et Université Paris 8, 2014, p58.

Dernière année d’enseignement de l’école de l’Opéra de Paris. On ne peut la fréquenter que jusqu’à l’âge de 18 ans.

(1924 – 2015) Danseur élève de Nora Kiss et Léo Staats, il rejoint les ballets du Marquis de Cuevas après un passage par l’Opéra-Comique et l’opéra de Paris. Etoile du Ballet de Cuevas, Il danse ensuite pour les Ballets Janine Charrat et pour les Ballets du Mai Florentin. Il cesse d’enseigner en 1989.

né Serge Leplat à Montmartre (1920 - 2014), demi-frère de la danseuse Lycette Darsonval, il entre à l’opéra en 1943 et en part en 1947 pour danser, entre autre avec Roland Petit.

Né à Paris le 14 janvier 1962, est un metteur en scène français, codirecteur, avec Agathe Mélinand, du Théâtre national de Toulouse Midi-Pyrénées de 2008 à 2017. Il est depuis 1997 l’un des plus prolifique metteur en scène d’opéra français.

Photo: Jean-Christophe Mazué

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